dimanche 22 septembre 2019

CTHULHUTECH : une lecture rapide mais néanmoins critique (I)



Disons-le tout net, j'ai acheté Cthulhutech à cause de cet homme. Ces billets d'humeur (massacrante) sur ce jeu m'amusent depuis 3 ans, et sa relation d'amour/haine avec le jeu le conduisent à une critique acerbe mais fine du bouquin. Je l'ai vu à 5 euros en VF sur un site de destockage et j'ai sauté sur l'occasion de me faire une idée de la chose par moi-même.
Eh ben je n'ai pas été déçu.

Pour clarifier les choses, cette bafouille est à voir comme une liste de notes personnelles, directement complémentaires de cette série d'articles. J'encourage également à lire cet article (en anglais et pas très long) sur la « densité conceptuelle » des jeux de rôle qui a beaucoup affiné ma façon de voir l'écriture des JdR et les raisons pour lesquelles on achète des gros bouquins en couleur sur papier glacé qui coûtent une blinde. (pour résumer à la grosse grosse louche : si le scénario te dit qu'il y a un camp d'orcs et que dedans il te décrit sur 20 pages un village de tentes habité par un chef bourrin, un chaman rusé qui le contrôle en scred, des guerriers brutaux et des gobelins esclaves, il n'apporte rien de plus que ce qui apparaît déjà dans ta tête quand tu lis « camp d'orcs », donc ça ne sert à rien de l'acheter).

Durant ma lecture, je ne chercherai pas à comprendre les règles plus que ça : je vais surtout m'intéresser à l'organisation conceptuelle et graphique du bouzin et à l'univers.


Avant d'ouvrir le bouquin, je n'avais pas beaucoup d'attentes ni d'espoirs (cf les articles de M. Pogor) mais je me disais que bon, des méchas contre Cthulhu ça devait fleurer bon Pacific Rim avec une louche de nihilisme et d'existentialisme terrifiant, genre tes pilotes de mécha cognent les grous méchants lors de combats chouettos mais dès qu'ils prennent le temps de penser, ils sont confrontés à la dure réalité : leur combat est sans espoir et l'humanité est condamnée, que ce soit par le dévorage futur par les Grands Anciens ou par sa propre hubris.

(Interlude où je lis le livre avec une tasse de thé et un chat sur les genoux)

Eh bien c'est ... pas très bon.
Sans redire ce qu'à déjà dit M. Pogor de manière bien plus brillante que moi, voici les soucis que m'ont posé ce bouquin :

Effectivement, ça commence à sec par un lexique de termes et de factions sans les replacer dans le contexte de l'univers et par une chronologie chiante à mourir. Han.

Les descriptions des (nombreuses) factions ont une densité conceptuelle pas très éloignée de zéro, avec un gouvernement qui gouverne, des conspirations qui conspirent et des méchants qui sont très méchants. On te balance des paragraphes qui décrivent les implantations des différentes organisations dans les pays et les villes, alors que tout ça pourrait être résumé en mieux dans une jolie carte du monde pleine page (détachable tant qu'à faire). On en reparlera de la carte du monde. Le seul truc un minimum intéressant et évocateur sont les encadrés de 2-3 phrases sur les rumeurs qui lézardent la banalité monolithique du bouzin. Les autres encadrés par contre puent la misère.
Le pire est celui sur les grades : c'est visiblement un copier-collé de l'article Wiki des grades OTAN, traduit par Google en autopilote (sérieusement, vous auriez pu au moins remettre le vrai nom des grades en français non ?). L'encadré prend un tiers de la page et genre 25 niveaux hiérarchiques ce qui implique 1) on est dans un jeu où l'organisation militaire est vachement importante (et visiblement fétichisée, ce qui me rebute toujours un peu) et 2) ça va être important au cours des parties voire dans la création des perso. Spoiler : pas du tout, je soupçonne que c'est un bouche-trou.

La carte du monde à la fin du chapitre est d'une rare mocheté, et de plus illisible avec un mélange de couleurs dédjeulasses et des hexagones « pour faire SF » même pas réguliers qui font que la carte a l'air passée à l'effet « vitrail » de Photoshop du début des années 2000.

Les nazzadis (=elfes noirs) semblent être là juste pour rajouter un peu de couleur et la possibilité de perso bonasses (ils « ressemblent à des Européens ou des Asiatiques gracieux »,sic) mais dangereux quand même parce qu'on ne sait pas s'ils sont vraiment gentils ou pas. Une question à leur sujet me taraude quand même : si ils ont ont leur État rien-que-pour-eux à Cuba et Haïti, que sont devenus les Cubains et les Haïtiens ? J'ai l'impression que cela n'est évoqué nulle part et ça me laisse un goût désagréable dans la bouche.

Aussi aimable qu'une feuille Excel
En ce qui concerne les règles et la création de personnage, pas grand chose à dire qui n'ait déjà été dit, si ce n'est que je relève la présence bienvenue d'une double page récapitulative avec une fiche de perso dedans.
Il y a un tableau pleine page des signes astrologiques qui me rend triste pour Howard Philip.
Les illustrations des races et des professions sont assez inégales et peu évocatrices. Il y en a pas des masses qui m'ont donné envie de les montrer à un hypothétique MJ en disant : je veux jouer ce mec / cette fille (ou alors « cette fille mais vêtue autrement que comme une hôtesse à un salon du tuning »). A noter : les différences d'Attributs des archétypes entre nazzadis et humains semblent absolument insignifiantes, donc je me demande pourquoi elles ont été mises.
Les compétences et les traits particuliers sont du lambda de JdR courant, tellement même que certains traits semblent avoir été mis là parce qu'ils existaient dans d'autres jeux et que notre jeu il est hyper complet tu vois (Ambidextre ? Horloge interne ? Souple ? Voix horripilante ?).
Le chapitre sur l'équipement du futchure me semble faire une rechute dans la fétichisation militariste des armes (pas bien).

Les règles sont plus mauvaises que celles d'un JdR moyen, vaguement simulationniste mais vaguement dynamique, sans idée qui sorte du lot à part la double échelle de PV entre mechas et humains. A noter : pour les soins, la physiologie des Nazzadis est identique à celle des humains en tous points. Mon interrogation quant à leur utilité demeure.

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi c'est baddant 
Comme dit plus haut, les illustrations sont globalement moyennes. La pleine page couleur sur la folie est par contre un peu dérangeante, mais je ne sois pas sûr que ça soit fait exprès. La composition désaxée un peu aux fraises, la rigidité des poses des personnages et leurs poignets désarticulés me mettent mal à l'aise, mais j'ai l'impression que c'est plus dû à des défauts techniques qu'à une volonté particulière.
Franchement, aucune illustration ne me vend du rêve ou ne m'évoque ce que je pourrais vivre en cours de partie. Les images illustrent juste le texte, sans rien apporter de plus en termes d'esthétique ou d'ambiance. Même la couverture qui est super belle, bien composée et colorée avec goût, ne me dit pas à quoi je vais occuper mes parties. Le manuel des joueurs de Donjons et Dragons avec les aventuriers qui volent les yeux en rubis de la statue au milieu des gobelins morts est peut-être pas très bien réalisée, mais elle me dit exactement ce que je vais faire en jouant à Donj'. Là, à part une vague promesse esthétique (même pas tenue dans le reste du livre), la couverture ne fait pas grand' chose.


Quelques pages plus loin on a enfin les règles sur les MECHAAAS. Eh ben ça, c'est pas trop raté. Ça n'est pas plus complique que le reste (mais pas plus simple non plus, hélas), ça fait sens la plupart du temps et les dessins sont jolis.
Un premier reproche : le code de santé (dit code ES) qui fait que les systèmes auxiliaires lâchent en premier et que le modèle de survie est le dernier à péter, qui est une vraie bonne idée, est sur une échelle pas intuitive. Ça aurait été de A à E, ou de I à V ou autre, bah je n'aurais pas eu besoin de retourner 20 PAGES AVANT pour savoir l'ordre des lettres (S>L>M>G>C) et leur signification. Et encore, c'est dans du corps de texte basique, sans être mis en avant d'aucune manière. Qu'une info de cette ordre, qui devrait se retrouver en gras sur l'écran du MJ, ne soit pas rappelée en tête du chapitre sur les méchas me sidère un peu. Genre en pleine partie tu dois feuilleter les pages comme un fou sans repère pour accrocher ton œil sur la liste qui te dit si ton robot géant perd son système de vidange externe des eaux de pluies ou si son cœur nucléaire entre en fusion.

De la mise en page de qualitay

Deuxième reproche : je ne vois pas bien l'intérêt de faire la distinction entre les méchas et les Engels (méchas biomécaniques). Ils peuvent remplir les mêmes missions. Il n'est marqué nulle part qu'il y a une rivalité entre eux. Les pilotes d'Engel sont un peu flippés d'être liés à des créatures géantes, mais pas trop. Bref, c'est un peu comme le reste du jeu : les créateurs essaient de faire dark mais ne poussent pas plus loin que ça. Alors que pourtant avec « Cthulhu » dans le titre y a moyen de se faire plaisir en poussant à fond, voir plus loin pour faire de l'ironie. Mais là non.
Mais le vrai scandale arrive : si les meuchants ont des méchas qui sont détaillés avec les chiffres qui vont bien, elles sont où les stats de Cthulhu ? Non mais je veux dire, pas du vrai Grand Ancien et tout, mais au moins d'un rejeton qui lui ressemble et dont je vais pouvoir arracher les tentacules avec les poings de métal de mon robot géant. Sérieusement : je veux bastonner Cthulhu avec Goldorak et je n'ai pas les caracs de Cthulhu ? Vraiment les gars ?

Bon ensuite y a les Tagers, qui sont über frag et tout. Il est noté quelque part (mais je n'arrive pas à retrouver où, preuve supplémentaire de l'organisation de feulie du bouquin) que jamais au grand jamais un Tager ne peut se retrouver à piloter un Engel car leurs symbiotes respectifs ne sont pas compatibles et que quelque chose de terrible arriverait. Le joueur de JdR lambda aura cette idée en moyenne au bout d'une demi-partie et on ne me décrit même pas l'apocalypse que ça serait, ni même les conséquences que les PJ auraient à gérér ? Livre, tu me déçois chaque jour à peu plus.

La sorcellerie est naze, je ne m'étendrait pas dessus plus que le maître de Ivoz-Ramet.

Sur ce, je vous propose une petite pause, avant de passer sur le côté MJ du livre.

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