vendredi 27 septembre 2019

CTHULHUTECH : une lecture rapide mais néanmoins critique (II)


Pour un rappel de contexte et la première partie, voir ici

On s'attaque donc à la partie "MJ" du livre de règles.

Le chapitre des meuchants s'ouvre sur une nouvelle d'ambiance (comme tous les autres chapitres d'ailleurs, mais leurs nouvelles sont comme les illustrations : pas évocatives pour un sou) qui fait un rien flipper. Même l'illustration colle bien. Bon par contre c'est le Chaos de Warhammer 40.000, pas Lovecraft. Mais bien essayé.


C'est dans ce chapitre que devient criant le gros problème de Cthulhutech : y a trop de trucs. On avait déjà 8 factions, 2 races de gentils (dont une inutile), 5 types de méchas et des horreurs symbiotiques surpuissantes, voici qu'on se retrouve avec pas moins de 4 « classes » de méchants ; les métaterrestres (races intelligentes issues du Mythe ou originales), les cultistes (humains, existe en 4 couleurs), les Dhohanoïdes (méchants Tagers où le symbiote prend le contrôle) et les bêtes (créatures monstrueuses). On a au total 29 profils répartis entre 5 allégeances où les classes se mélangent allègrement. Même après 3 relectures je ne retrouve plus mes petits. Genre : le Taphophile est-il un mécha biologique ? Ou un Tager / Dhohanoïde (la seule différence étant s'il est gentil ou méchant) ? Ou bien un métaterrestre des disciples de l'Ombre de la Mort ?
(réponse : une bête, disciple du Typhon maraudeur)
Après, avec des catégories clairement différenciées et chacune porteuse d'une image forte et différente, on pourrait s'y retrouver, mais là tout se confond un peu faute de différence marquée (ce qui n'est pas amélioré par les illustrations), à cause de noms qui ne riment à rien et de mélange des niveaux d'organisation.


-1d6 points de SAN. Direct.

Tiens, le chapitre des véhicules qui s'est perdu là. Les autres chapitres ont dû le rejeter là à cause de son illustration atroce de la page 227. (Au passage, avoir le numéro de page en police illisible, en marron, au milieu d'une bordure foutraque en noir bien écrasante et AU PUTAIN DE MILIEU de la hauteur de la page, c'est plus qu'une erreur : c'est une faute).

Le chapitre destiné au meneur rajoute encore des couches et des couches de truc inutiles qui ne sortiront jamais à une table (genre des nouvelles races éteintes jamais encore évoquées et 3 panthéons issus du Mythe mais tellement remixés que tu ne pourras même pas te baser sur tes souvenirs de l'Appel de Cthulhu pour les incorporer en jeu). Les conseils sont obsolètes narrativement (bon OK le bouquin a 10 ans mais quand même, je ne pense pas qu'à l'époque on écrivait des scénars basés sur une version lite du monomythe de Campbell). Les thèmes sont listés en deux catégories : animés et méchas, et horreur surnaturelle. Contrairement aux bouquins du Monde des Ténèbres, la réflexion thématique n'est pas méga poussée, ni rafraîchissante, ni franchement utile. On a l'impression d'un truc écrit après pour justifier le jeu et non pas d'une réflexion qui a servi de base de travail. Le drame c'est qu'ils se rendent compte que l'union des deux est genre un truc difficile de fou et ultra casse-gueule. Pour régler cette dichotomie, complexe tant dans la conception et le design du jeu, que dans la partie telle qu'elle se déroulera à la table, on a droit à deux paragraphes.
Champagne.
Si le premier sujet est adressé vite fait, le deuxième (comment c'est-y que ça marche quand tu lances des dés dans une MJC à 2h du mat) est passé sous un effet de manche.
Point positif : y a plein de figurants avec des stats et tout. Ça ne me gêne pas qu'ils soient archétypaux, c'est même leur fonction, mais je pense que 3 personnalités en deux mots par profil auraient été bienvenues.


En direct des scénarios, il n'y a que mort et désolation ici
Les scénarios proposés sont ... ils sont ... catastrophiques. C'est la Bérézina jeuderôlogique de cette campagne de Russie qu'est Cthulhutech : c'est laborieux, parfois glaçant, et ça finit atrocement mal. C'est un peu comme si on montait une arche. Les pierres s'empilent pas trop mal même si elles sont taillées à la va-vite et parfois franchement moches, et à la fin quand il faut mettre la clé de voûte, tout s'effondre parce que cette dernière est juste un bout de caillasse ramassé sur le bord de la route.
Cthulhutech est foutraque et part dans tous les sens, mais sa lecture en est du coup un peu exaltante : on a plein de jouets qu'on nous met dans les mains (des méchas ! Des sorciers ! Des aliens !) et on se dit qu'on pourrait plein de trucs mais on se demande bien quel cadre les designers vont nous donner pour les utiliser. La réponse est : que dalle. Rien. Nada. Peau d'zob.
Après toutes ces règles et ces listes, on ne sait toujours pas à quoi va ressembler une partie, et encore moins après avoir lu les scénars d'introduction.

Pour être tout à fait honnête, j'avais commencé à prendre des notes au fil de ma lecture en relevant tout ce qui est mal écrit ou débile, mais j'ai arrêté parce que je me suis rendu compte que je recopiais le livre. C'est pire que le pire des tutoriaux de jeu vidéo auquel tu as jamais joué : c'est le railroad de la mort, tes persos sont tenus pas la main, leurs tests n'ont aucune conséquence ou au contraire tu dois tricher parce que s'ils ratent le scénar s'effondre ... C'est un scénario-comme-roman (comme décrit dans ce très bon article , aka le scénariste de JdR comme auteur frustré), mais un très mauvais roman, très mal écrit (et je ne pense pas que cela soit la faute à la traduction, même si elle n'améliore pas les choses), où tout n'est que clichés rebattus et poncifs affligeants. C'est inutilisable à la table en cours d'une partie, des paragraphes entiers pourraient être résumé à UN schéma ... Bref, j'abandonne à relever tous les points ou même à faire une critique structurée (enfin je veux dire, pas structurée structurée, mais du genre de ce que j'ai déjà fait avant), et je vous balance des extraits pour que vous en jugiez par vous-même.

 Traduction : faites jeter les dés aux joueurs pour les distraire un peu et leur faire croire qu'ils ont une quelconque influence sur l'histoire

 Les PJ sont forcés à sortir de leurs méchas sans raison. Au passage il n'est jamais clairement indiqué jusqu'ici que le scénar s'adresse à des pilotes de mécha.
 En vrai j'ai menti : les PJ doivent descendre de leurs méchas pour patauger dans la gadoue et se faire attaquer par un Dhohanoïde (= méchant Tager), afin de se faire sauver par un gentil Tager PNJ. Tellement valorisant ...

 Genre mon scénar il est à Seattle, OK ? Et ne t'avise pas de le changer

 La seule description des villes-du-futchure-où-tout-le-monde-vit est planquée dans un encadré d'un scénar à la fin du livre. Le syndrome du « mais où ai-je donc lu ça » est fort dans ce jeu.

 En tant que MJ, j'adore apprendre les twists du scénar en même temps que les PJ.

 Bon je vais arrêter là avec les extraits parce que ça devient lourd mais vous avez compris l'idée.


Les « accroches » qui suivent les deux scénars d'intro sont plus des read-aloud de briefing de début de mission, sans une piste pour le MJ pour broder. Franchement, là on a une densité conceptuelle négative je dirais. Les 3 premières accroches sont des briefings pour un même scénar mais sous l'angle de barbouzes, de méchas et de sorciers ; la 4è décrit vaguement une secte de Tagers dissidents (qui pourrait être cool et poser plein de questions mais à ce stade on a juste envie de finir vite le bouquin pour le ranger et poser à autre chose) ; la 5è prend un paragraphe pour expliquer ce qu'est un sex-club (so edgy) et un autre pour nous dire que des gens disparaissent dedans (mais sans plus d'info que ce que je viens de vous donner) ; enfin la 6è décrit les victimes d'un monstre que les PJ Tagers vont chasser sur fond de spéculation immobilière. Aucun indice pour le MJ par contre.
Bref, des arbres sont encore morts pour rien si c'était pour ça.

En conclusion, je dirais que je ne m'attendais pas à grand-chose et j'ai quand même été déçu. Les tranches de rire promises par les articles de M. Pogor étaient brèves (mais intenses), et pas suffisantes pour contrebalancer l'énorme frustration de la lecture de l'ensemble du bouzin. Et encore, j'ai lu les règles sans vouloir les comprendre.
Dans l'état des choses, on me dirait tiens, mène une partie de Cthulhutech avec ce livre de base, on commence dans une heure, que je relirais juste 2-3 éléments de background avant d'improviser totalement un truc en cours de partie en faisant les dés aux joueurs « pour voir si ça passe », sans ouvrir le bouquin une fois dans la partie. Remarque, ça a l'air d'être ce que les développeurs faisaient alors je respecterais l'esprit. Peut-être ?
Ça sent le bouquin écrit (et illustré) par plein de personnes avec plein d'idées différentes. Chacun apporte sa pierre à l'édifice, qui un méchant, qui un scénario, mais rien n'est lié au reste, harmonisé dans l'écriture, ni même relu. C'est un Frankenstein d'idées, bonnes et (vachement) moins bonnes, qui au final donne un monstre avec quelques bouts pas mal mais un ensemble difficile à contempler et à jouer.

Je suis content de l'avoir payé 5 balles et pas 45 comme indiqué sur la couverture.

RIP Cthulhutech
Dors bien petit prince
 Maintenant qu'on a bien rigolé à taper sur le cheval mort, on va se prendre un moment pour réfléchir à comment essayer de régler l'ensemble de ces soucis.

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